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Chez Mélopée
20 décembre 2009

Belle du seigneur d'Albert Cohen

Que je vous dise d'abord que Cohen est pour moi un mentor. Je l'ai découvert avec Belle du seigneur et en ai été si charmée que j'ai enchainé sur le champ avec Le livre de ma mère et Les valeureux (critiques à suivre)

Résumé
: belle
Ce livre est un hymne à l'amour, celui qui est fantasmé, celui qui ne peut perdurer.
Ariane est une jeune femme mariée mais prostrée dans une vie banale qu'elle n'a pas choisie. Solal est le supérieur hiérarchique de son mari, c'est un jeune homme envié de tous tant pour son ascension professionnelle que pour son physique irréprochable. Quand ces deux-là se rencontrent, la magie opère sur le champ, la relation se noue fusionnelle, toute autre société est bannie. Les jours passent, la passion rend ces deux êtres éperdus, voués à la perfection sentimentale toujours renouvelée. La description des rapports humains et la complexité des sentiments sont admirablement décrites dans cette histoire idyllique.

Monsieur Cohen, vous avez tout compris à l'amour et cette crainte qui se manifeste rapidement de moins aimer vous semble familière. Que de passages sublimement menés comme celui cité ci-après !
Ce fut une véritable jouissance d'assister à cette mise en scène de l'amour sublimé, à ces mascarades où deux cœurs brisés de trop aimer laissent place à un dénouement bouleversant les préjugés. L'amour doit-il faner ?
Le passage qui suit est juste l'un des plus beaux selon moi !

Passage préféré : Tu l'aimes et tu veux qu'elle t'aime, et tu ne peux tout de même pas aimer un chien parce qu'il vaut mieux qu'elle ! Eh bien alors séduis, fais ton odieux travail de technique et perds ton âme. Force-toi à l'habileté, à la méchanceté. [...] Tu n'es pas encore enraciné et des méchancetés trop marquées la repousseraient. Il leur reste un peu de bon sens au début. Par conséquent, du tact et de la mesure. Se borner à lui faire sentir que tu es capable d'être cruel. [...] Elle sera indignée, mais son tréfonds aimera. Lamentable de devoir déplaire pour lui plaire. Ou encore un masque subitement impassible, des airs absents, une surdité soudaine. Ne pas répondre par distraction feinte à une question qu'elle te pose la désarçonne mais ne lui déplaît pas. C'est une gifle immatérielle, une ébauche de cruauté, un petit plain-pied sexuel, une indifférence de mâle. De plus, ton inattention augmentera son désir de captiver ton attention, de t'intéresser, de te plaire, la remplira d'un sentiment confus de respect. Elle se dira, non, pas se dira, mais vaguement sentira, que tu es habitué à ne pas écouter toutes ces femmes qui t'assaillent, et tu seras intéressant.
[...] Qui est cruel est sexuellement doué, capable de faire souffrir, mais aussi de donner certaines joies, pense le tréfonds. Un seigneur quelque peu infernal les attire, un sourire dangereux les trouble. [...]

Donc, pendant le processus de séduction, prudence et y aller doucement. Par contre, dès qu'elle sera ferrée, tu pourras y aller. Après le premier acte, curieusement dénommé d'amour, il sera même bon, à condition qu'il ait été réussi et approuvé avec enthousiasme par la balbutiante pauvrette, il sera même bon que tu lui annonces qu'elle souffrira avec toi. Encore transpirante, et contre toi collante, elle te répondra alors que peu lui importe, que la souffrance avec toi ce sera encore du bonheur. [...]
Lorsqu'elle est entrée en pleine passion, donc cruautés ouvertes. Mais dose-les. Sois cruel avec maîtrise. Le sel est excellent mais pas trop n'en faut. Par conséquent, alternances de duretés et de douceurs, sans oublier les obligatoires ébats. [...]

Ne renonce jamais aux cruautés qui vivifient la passion, et lui redonnent du lustre. Elle te les reprochera mais elle t'aimera. Si par malheur tu commettais la gaffe de ne plus être méchant, elle ne t'en ferait pas grief, mais elle commencerait à t'aimer moins. Primo, parce que tu perdrais de ton charme. Secundo, parce qu'elle s'embêterait avec toi, tout comme avec un mari. Tandis qu'avec un cher méchant on ne bâille jamais, on le surveille pour voir s'il y a une accalmie, on se fait belle pour trouver grâce, on le regarde avec des yeux implorants, on espère que demain il sera gentil. (pp. 328-330 de la collection Folio Gallimard)

Ne m'en voulez pas si, à l'avenir, je classe les écrivains belges, suisses ou luxembourgeois (quoique je ne pense pas avoir lu de ces derniers) en littérature française, c'est purement intentionnel.

L'ont lus : Grominou, Lucile, Sylvie, Céline, Romanza, Nicolas, Thom, Deedee et une réfractaire à la plume de Cohen Kalistina (parce que tous les avis sont constructifs). Mais pour moi ça reste un 10/10 !

Belle du seigneur - Albert Cohen (Gallimard, 1979, 845 p.)

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Commentaires
M
@ Denis : Splendide ce "Belle du seigneur" ! Je ne peux qu'être dithyrambique car je crois que ce serait l'unique livre que je choisirais sur une île déserte. Je te souhaite autant de plaisir que moi !
D
j'avais envie de commencer à le lire ce week-end et ce billet me donne encore plus envie de lire ce "chef d'oeuvre" qui m'attend dans ma bibliothèque depuis des années
M
@ Aifelle : Ah je crois qu'en effet "Belle du seigneur" est la pièce maitresse de Cohen au niveau du style. Si on n'y adhère pas, pas besoin de tenter les autres qui sont un tout petit cran en dessous ! (Soit dit en passant, les autres sont pour moi très bons aussi)
A
Je n'ai jamais lu Albert Cohen, je me promets bien de le faire un jour et je commencerai par celui-ci.
M
Oh ça me fait plaisir Didi ! Je suivrai assidument ta critique si tu te mets à "Belle du seigneur". Dans mon top 5 de toute la vie ce livre-là alors je te souhaite la même chose !
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