Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline
Avant d'en faire la lecture je savais que ce livre était sujet à des opinions très contrastées dues aux tendances antisémites de Céline qui ont fortement entaché ses écrits. Mais ce livre
mérite une appréciation toute personnelle, une réflexion bien en amont
du qu'en-dira-t-on, des rumeurs et autres préjugés véhiculés jusque-là.
Ferdinand
Bardamu c'est notre anti-héros, c'est l'incarnation du vice et de la
faiblesse mais c'est surtout un bien digne représentant de l'espèce
humaine. Lâche quand il s'agit de se battre pour la Nation, d'humeur
renfrognée quand il s'agit de partir en "exil". Loin du front, il fuit
sa mère avec qui il entretient des rapports conflictuels et s'engage
pour l'Afrique dont l'exotisme lui laisse à penser à une échappatoire
au soleil.
D'aventure en aventure, les péripéties s'enchainent
et Ferdinand est un intrus partout. Il gagne le nouveau continent
porteur de l'American dream et se laisse transbahuté dans une vie de
débauche et de petit pauvre des bas quartiers.
Mais le pain est
toujours meilleur ailleurs alors la nuit s'étire jusqu'en France où
notre héros exerce maintenant l'enviable métier de médecin. Peu
respecté, en tâtonnement dans sa vie sociale, Ferdinand s'emploie à se
faire un nom et une clientèle. Son périple s'étend à Toulouse et la
quête d'une installation sereine s'éloigne car tous lieux semblent
évocateurs d'une certaine représentation de la bassesse de population.
Et
les femmes valsent dans sa vie comme des oiseaux de mauvais augure :
Lola, Musyne, Molly... qui ne sont que des apparitions fugitives, des
réhausseurs de dignité.
Enfin, il y a le fameux Léon, surnommé
Robinson, qui est un compagnon de virée, un confrère d'infortune qui
semble lié comme un aimant à une destinée funeste.
Quel œuvre
magistrale ! C'est splendide de descriptions finement ciselées et
originales. Point d'ennui, tout est bon pour rire sur les petits
travers du quotidien : des femmes rondelettes hantant les pâtisseries à
celles vénales et profiteuses. C'est un bel exercice qu'a réalisé Céline, un portrait truculent du genre humain dans tout son égoïsme et sa noirceur.
Il
est des âmes qu'il est bon d'exposer au grand jour et c'est en
fomentant une échappée dans la nuit profonde que les êtres paraissent
plus petits et miséreux.
Qu'ai-je aimé? D'alterner entre sourires et
tristesse, d'être surprise par les tournures, par les images et autres
figures de style toutes aussi renversantes les unes que les autres. Je
ne suis pas d'accord pour qualifier ce livre de vulgaire classique
empli de stéréotypes, car la dimension est bien au-delà et on
remercierait volontiers Céline de nous terrasser sous cet obus.
Il
dormait comme tout le monde. Il avait l'air bien ordinaire. Ça serait
pourtant pas si bête s'il y avait quelque chose pour distinguer les
bons des méchants. (p. 160)
Il transpirait des si grosses gouttes que c'était comme s'il avait pleuré avec toute sa figure. (p. 496)
En résumé, un livre qui reste dans les esprits et qui donne envie d'en découvrir un peu plus sur cet auteur fortement décrié mais qui a des qualités littéraires incontestables !
Pour d'autres avis, allez voir chez Wictoria qui a fait un très bon billet, chez Kastor, chez Moineau, chez Lillounette, chez Roxane, chez Julien, chez Thom, chez Milou, chez Hank entre autres. Des critiques très complètes et assez unanimes sur la valeur de cette pièce maitresse.
Voyage au bout de la nuit - Louis-Ferdinand Céline (Gallimard, coll. Folio, 2008, 505 p.)