La virevolte de Nancy Huston
Attention, écrivain-chouchou : risque de totale subjectivité !
Ce livre aurait pu être un modeste petit ouvrage échoué entre deux pavés et oublié sitôt refermé. En ce qui me
concerne il connaitra un autre destin car je le laisserais volontiers sur la table de chevet de ma mère
pour qu'elle puisse y puiser toutes les facettes du genre humain. Je
parle du genre humain mais c'est bel et bien la femme qui est sous les
projecteurs dans cette histoire de danseuse empêchée dans sa vocation.
Je
m'explique : Lin est une étoile émérite qui a à première vue tout
pour être heureuse avec une vie de famille bien remplie et un mari
Derek qu'elle croit aimer. Viennent s'ajouter au portrait de la petite
famille parfaite : deux petites filles qui, en requérant éducation et
attention, détournent peu à peu leur mère de son vrai rêve, danser.
Et
l'histoire gagne en profondeur avec le temps qui passe, avec les
enfants qui grandissent et cette étrange impression de passer à côté de
sa vie. Mais noyer le poisson ne le fait pas disparaitre et quoi qu'on
fasse il remontera toujours à la surface. C'est le cas avec cette
passion débordante qui la rappelle à elle fréquemment. Et les moments se
font de plus en plus pressants, de plus en plus difficiles à canaliser.
L'esprit vagabonde et même si Lin reste à la maison, ses pensées et ses
gestes sont tous tournés vers la danse. A quoi bon résister?
[Risque de spolier]
Le
livre se compose de deux parties avec la première qui retrace la vie de
famille rangée avec un quotidien qu'on se plait à retracer chaque jour
: repas, toilette, discussions entre amis/famille, boulot.
Dans la
seconde partie Lin prend son envol. On ne sait pas trop comment ni à
quel moment l'abandon de domicile a eu lieu mais la danseuse a regagné
ses ballerines. Et c'est dans cette partie que les doutes entrent en
jeu : que Derek s'organise avec deux fillettes un peu perdues et
traumatisées. Lin quant à elle ne vit plus que pour sa passion, égoïstement et avec bien peu de scrupules sur les dégâts collatéraux engendrés par son choix : elle
enchaine les représentations, flirte avec le chef d'orchestre et envoie
valser toute sa vie établie. Au revoir maison, enfants ; bonjour
hôtels, paillettes et troupe de danse !
Le style de Nancy Huston,
il n'y a pas à dire on adhère ou on abhorre. Pour ma part je suis
charmée par ses trouvailles linguistiques, par sa manière de placer et
déplacer le temps, de le faire filer selon que la frustration soit là
ou que les liens familiaux se dénouent. C'est l'impression curieuse
qu'on a avec un tel livre : qu'on a la possibilité de briser toutes les
barrières temporelles, de pouvoir accélérer le vide existentiel pour
revenir sur les moments-clé qui marquent une vie.
Et dans le sillage
de Lin c'est Derek, ce sont les deux fillettes et les proches qui sont
en pleine tempête, témoins d'une destinée qu'ils ne peuvent contrôler.
Pour résumer : je crois que ce livre est vraiment admirable et qu'il
donne une envie folle de poursuivre dans les pas d'une écrivain dont les
ficelles nous ensorcellent.
Le genre de petites phrases piquantes qui me fait sourire : Évidemment que je fais attention, sœurette. Les capotes sont le premier pas sur le chemin des décapotables. (p.160)
Je tiens à remercier ma belle aBeiLLe qui m'avait offert ce livre lors du swap des plages. Voilà un livre que je ne regrette pas d'avoir lu. Oh, loin de là !
La virevolte - Nancy Huston (J'ai lu, 2006, 189 p.)