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Chez Mélopée
24 avril 2010

Le marque-page de Sigismund Krzyzanowski

marquepageIl m'en aura fallu du temps pour apprivoiser ce texte qui est, aux abords, facile d'accès mais qui devient nettement plus ardu une fois que la narration se met en place. Car Krzyzanowski part d'évènements bénins de la vie quotidienne pour faire des digressions sur l'existence, sur la philosophie et sur des thèmes nettement plus abstraits.

C'est ainsi que dans la première nouvelle - car c'est bien un recueil de nouvelles que nous avons là - nous partons d'un homme croulant sous les souvenirs accumulés dans son modeste appartement et qui en vient à retomber sur l'ami marque-page, échoué dans une de ses lectures abandonnées. Ce petit objet de tissu, tout à fait providentiel, va l'amener à réfléchir sur sa situation actuelle, sur la marche du monde. C'est un homme qui fait une rétrospective sur son passé et qui cherche à partager idées et réflexions avec de sombres inconnus mis sur son chemin. C'est ainsi que de fil en aiguille le narrateur en vient à sortir de chez lui, à venir à la rencontre de l'autre pour s'exposer dans son individualité et ses spécificités. Du prétexte du marque-page, nous en arrivons à un dialogue des plus fouillés avec un inconnu, presque aussitôt surnommé l'attrapeur de thèmes. Tout parait loufoque, sans lien apparent et pourtant c'est avec une logique implacable que notre narrateur prend congé de nous en rouvrant un carnet où avait pris place le marque-page.
On se demande en fin de compte si la page où s'était arrêté le marque-page avait un intérêt quelconque dans le déferlement d'idées, dans la soudaine inspiration de notre héros. Et ce sont ces questions restées sans réponse qui laissent une certaine énigme à cette histoire sans queue ni tête.

J'ai détaillé cette première nouvelle car c'est elle qui donne son nom au livre, elle qui semble ouvrir la porte à l'imagination et nous insuffler une bonne dose de perplexité. Car je pense que l'auteur s'est voulu insaisissable et en parcourant les biographies j'ai pu voir que c'était la nouvelle qui faisait le plus écho à sa vie. On ne voit pas bien le trame autobiographique mais cette ouverture au monde peut faire écho à chacun de nous.
Car un mince objet, une relique du passé sur notre route et le champ des possibles peut à nouveau s'ouvrir soit sur ce qui a été, soit sur ce qui pourrait être.

Dans la même veine, on poursuit le voyage avec "La superficine", seconde nouvelle où un narrateur reclus dans son 8m² se voit proposer, par un visiteur du petit jour, une sorte de potion qui par application sur les murs agrandirait les pièces. Ni une ni deux, notre narrateur vide le flacon en enduisant les murs copieusement et c'est dans une sorte de douce folie que nous voyons peu à peu la pièce gagner en longueur (et pas en hauteur de plafond). On gagne en surface mais les problèmes demeurent et notre narrateur perd pied, en ne trouvant plus les murs qui s'éloignent, le laissant seul avec son lit.

Je pourrais détailler toutes les nouvelles qui ont un zeste de Kafka, une pointe de Carroll comme avec cette troisième nouvelle où un héros - toujours masculin le personnage principal - voit dans les yeux de son amie un petit bonhomme bien expressif qui lui fait signe. Au lieu de s'arrêter à la bizarrerie de la situation, le narrateur décide de suivre cette petite chose hantant la pupille de sa compagne. Et il parait tout à fait normal que notre héros se fonde sous les paupières pour voir ce qu'il en est et visiter l'étrange repère du petit homme à la pupille. Pris au piège, les yeux n'offrent que peu de champs de sortie, surtout lorsque le refuge bien agréable pour un temps est noyé dans l'obscurité par des paupières fermement baissées.

Je ne saurais trop dire comment j'ai accueilli ce recueil de nouvelles car il est vrai que j'ai eu énormément de mal à garder le fil dans la nouvelle du marque-page - dont le titre m'intriguait grandement - et ai été davantage charmée par les petits récits lui faisant suite comme la nouvelle faisant l'apologie de la haine dans un futur proche. La haine serait le principal carburant qui viendrait alimenter nos demeures donc la population est priée de haïr la société avec entrain. Et vous ai-je parlé du mangeur de coude qui devint une bête de foire  et un emblème de la mode nationale :

La mode du N°11 111 s'amplifiait non de jour en jour, mais presque de minute en minute. Un bel esprit faisant l'exégèse du chiffre 11 111 déclara que l'individu désigné par ce nombre était "cinq fois unique". Dans les magasins de vêtements pour hommes, on mit en vente des vestes de coupe particulière, dénommées les "coudines", avec des rabats amovibles (à boutons), permettant à loisir et sans retirer son vêtement de s'exercer à se mordre le coude. Beaucoup de gens devenus coudomanes cessèrent de fumer et de boire. [...] autour de l'os du coude on portait d'élégants adhésifs rouges et de fausses cicatrices imitant morsures et égratignures fraiches. (p. 133)
abc
Loufoque, original... voilà un recueil qui a de bonnes ressources pour exister et dont le style est plein d'intelligence.

Le marque-page - Sigismund Krzyzanowski ; traduction de Catherine Perrel et Elena Rolland-Maïski (Ed. du Verdier, 1992, 159 p.)

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Commentaires
M
@ Liliba : Oui quelque part ça flirte avec du Kafka mais à la sauce russe. Et ça rend très bien !
L
Loufoque et original, ça va me plaire !
M
@ Leiloona : Ton libraire l'aura-t-il, là est la question?! Mais en tout cas c'est une bonne idée de le feuilleter pour voir.
L
Original et de l'est ... je l'ouvrirai chez le libraire, histoire de savoir si le style me plait. ;)
M
@ Valérie : Toujours là pour souhaiter les fêtes. Et quelque chose me dit que pour ton anniversaire ce sera pareil :)<br /> <br /> @ Edelwe : En ce qui me concerne, j'ai pris tout de même plus de plaisir sur les autres du recueil mais c'est vrai que la première est intrigante.<br /> <br /> @ Alex-Mots-à-Mots : 11 111? Moi j'aime les gens chiffrés. Même s'ils sont forcément impersonnels et pourraient être chacun de nous.<br /> <br /> @ L'or des chambres : Eh oui je vois que les recueils de nouvelles en rebutent plus d'un. Quelque part je le comprends bien donc je n'impose pas du tout mes orientations de lecture. Pour le thé, je te redirai ça car je l'ai à la maison (suis au boulot actuellement) mais il me semble que ma mère l'avait acheté à l'étranger. Mais je suis sûre que tu peux trouver l'équivalent au Palais des thés. En tout cas il est... délicieux !
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