La liseuse de Paul Fournel
Ce livre a eu un écho tout particulier car je suis moi-même l'heureuse propriétaire d'une liseuse qui pour l'instant ne fait que trôner, décorativement, sur une étagère. L'objet m'intrigue, m'interpelle, m'ordonne de m'y pencher plus sérieusement mais je préfère pour l'instant me documenter sur l'engin, lire l'expérience des autres, qu'en faire un usage intensif. Je picore, j'explore les fonctionnalités mais je n'ai pour l'instant jamais lu de texte intégral sur ma liseuse qui est pourtant conçue pour (si, si !). Et je crois bien que ce livre de Paul Fournel a fait évoluer ma réflexion sur le numérique et m'a fait relativiser.
Robert Dubois est éditeur et il est plutôt conservateur, dans le genre, ou, comme qui dirait, de la vieille école. Alors, lorsqu'une stagiaire lui tend une tablette électronique pour lire ses nouveaux manuscrits, c'est plutôt réticent voire carrément réfractaire qu'il s'engage sur la voie du numérique. De là nait une curiosité pour la "bête" qui semble malgré tout passer tous les tests avec succès : la luminosité, l'interopérabilité, la gabarit... tout concourt à l'adopter. Il en viendrait presque à délaisser le papier pour se forger son petit monde uniquement via la liseuse. Il y a, dans cette soudaine mutation, des acteurs fondamentaux qui voient en la liseuse une formidable voie de passage vers le texte immatériel, dénué de toute contrainte physique. Le texte se fait plus fluctuant car il est désormais possible de ponctuer le texte de remarques, d'être immergé dans les mots, encore plus près de l'approche textuelle et didactique d'un roman.
En attendant, je publie de bons livres qui vivent quelques heures, dont quelques-uns s'endorment dans les grandes bibliothèques et dont la majorité retourne au papier. En attendant de retourner un jour aux pixels. A quoi ressemblera le pilon des liseuses? J'ai toujours préféré les livres à l'argent, hélas. (p. 51)
Je dois avouer que mon intérêt pour ce livre est allé croissant. Au départ j'avais du mal à me figurer comment parler d'un outil de lecture qui plus est, encore peu fréquent chez la plupart des lecteurs. Mais j'ai trouvé que situer l'action dans une maison d'édition avec, comme personnage principal cet éditeur en constante interrogation sur l'évolution du métier, était une approche particulièrement intéressante. On assiste à la lente appropriation de la machine par l'homme qui aurait pourtant de solides arguments pour la condamner et l'éloigner la plus possible de son quotidien. Mais j'ai bien aimé ce récit car le personnage est plein d'intelligence, réactif et encore bourré d'envies. C'est bien lui qui propose de développer une sphère numérique spécialement conçue pour les liseuses, c'est bien lui qui remplit des caisses de ses vieux livres pour laisser place au numérique. En somme, il se veut un acteur pleinement investi dans les fonctions qui sont les siennes. Et c'est tout à son honneur ! Maintenant à moi de prendre le taureau par les cornes et de faire confiance en ma toute nouvelle liseuse.
La liseuse - Paul Fournel (P.O.L, 2011, 216 p.)