[Rentrée littéraire] Chapardeuse de Rebecca Makkai
Sixième roman de la rentrée littéraire, celui-ci m'a attiré par sa couverture et sa quatrième de couverture qui, toutes deux, avaient l'air faites pour moi.
Lucy est une bibliothécaire célibataire d'une trentaine d'année qui réside à Hannibal dans le Missouri. C'est une petite bourgade paumée dans le Middle West d'autant plus que le cadre de la bibliothèque ne favorise pas nécessairement les échanges ni la construction d'une famille. Mais un fidèle lecteur de 10 ans, Ian, lui change les idées car c'est un clandestin de qui la mère censure les lectures. C'est donc un vrai défi que d'ouvrir le gamin à un monde plus vaste alors que les parents, des chrétiens fondamentalistes cherchent à lui trouver dans la lecture le "souffle divin". Le bonheur c'est aussi d'outre-passer les limites et de passer en douce des ouvrages hautement plus intéressants pour sa tranche d'âge.
Un jour que Lucy arrive sur son lieu de travail, quelle n'est pas sa surprise de tomber nez à nez sur son petit fugitif, ayant passé la nuit à la bibliothèque ! Il a échafaudé un plan, celui de partir pour échapper à ses parents intrusifs qui veulent lui faire suivre un programme de réhabilitation contre l'homosexualité. Voilà les deux protagonistes qui décident donc de parcourir l'Amérique en traversant les États du Nord jusqu'au Canada.
Ce livre est follement revigorant et donne envie de tout lâcher pour prendre la route et partir à l'aventure. Si, en plus, on avait comme compagnons de route, une Lucy, cultivée et qui ne demande qu'à se faire vengeresse, mais aussi un petit bonhomme débrouillard et qui a de la suite dans les idées, ce serait le road-trip idéal !
Le style de Rebecca Makkai est frais et alerte, plein de fantaisie. Au-delà de l'histoire très prenante, c'est sa verve qui nous rend le livre particulièrement addictif. Il y a plein de traits d'esprit, les personnages sortent des sentiers battus et explorent une multitude de sujets : l'homosexualité, la construction de l'identité, la filiation parfois difficile... Ce parcours à deux est ponctué de rencontres, d'escales et de discussions. Tout est prétexte à divaguer et à prendre le large car il n'y a pas de contrainte à part celle de ne plus faire marche arrière.
J'ai ressenti de la sympathie pour Lucy, elle qui est de bonne foi, souvent menteuse, mauvaise vivante (au sens de la génération qui vit dehors) mais si appliquée dans son travail. Quoique le passage qui suit ne plaide pas particulièrement en sa faveur...
Autodescription de son parcours par celle qui n'omet aucun détail dans son parcours de kidnappeuse en puissance :
De vingt-trois à vingt-six ans : vol à la bibliothèque municipale d'Hannibal de plus d'une centaine de livres que j'estime mauvais. Plus une agrafeuse, un gamin de dix ans, et plusieurs rames de papier machine. (p. 143)
A travers sa fuite en voiture, on comprend qu'elle tente d'échapper à son quotidien, de renouer avec l'histoire de son père (un Russe au passé trouble) et de se situer en tant que jeune adulte en début de vie professionnelle.
J'étais sortie de la fac quatre ans plus tôt, j'avais recommencé à me ronger les ongles. Je comptais en tout et pour tout deux amis adultes. Je vivais seule dans un appartement à deux patelins de là. Une demoiselle bibliothécaire dans sa plus simple expression.
A noter, pour le dossier, ma constitution génétique indiquant une légère prédisposition aux comportements criminels, une propension héréditaire à la fuite, et une caution chromosomique de l'autoflagellation éternelle. (p. 19)
Le gamin qui l'accompagne est, quant à lui, certes efféminé mais il n'en est pas à blâmer pour autant car il est en pleine construction, découvrant les autres, la religion mais aussi la connaissance au sens le plus large. Il est déjà si ouvert d'esprit et curieux qu'on a du mal à comprendre comment on pourrait lui refuser culture et dialogue. Mais il a l'air bien isolé, lui le fils unique qui trouve pour seul refuge, la bibliothèque. Sa fugue est le reflet d'un mal-être qui l'oblige à s'écarter des siens. Heureusement que ce road-trip va combler bien plus que des traumatismes de part et d'autre. Il va être le point de départ d'une grande amitié qui ne cessera de grandir au fil des kilomètres !
Quelques mots sur l'auteur :
Rebekka Makkai a 34 ans et vit avec son mari et ses deux filles au nord de Chicago. Chapardeuse est son premier roman. Il a fait partie de la sélection des meilleurs romans de 2011 du Chicago Magazine. Je ne peux que vous suggérer la lecture de cette interview qui reflète parfaitement l'ambiance du roman.
Chapardeuse - Rebecca Makkai ; traduction de Samuel Todd (Gallimard, 2012, 367 p., collection Du monde entier)