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Chez Mélopée
11 décembre 2012

Électrochocs de Martine de Rabaudy

J'aime alterner récits de pure fiction et oeuvres personnelles où l'auteur confie de soi même pour s'enlever un poids ou convier le lecteur à une intimité. Le livre dont je vais vous parler aujourd'hui est puissamment prenant car le sujet happe et le style aussi.

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Ce récit est autobiographique et c'est celui de la journaliste Martine de Rabaudy qui confie son expérience auprès d'une mère atteinte de PMD (psychose maniaco-dépressive) de sa jeunesse à la mort de cette dernière. Cela s'ouvre sur la naissance de l'auteur, mal vécue puisqu'il s'agit d'une fille mais qui n'est qu'un marqueur en plus sur le long tracé fait de hauts et de bas de la maladie de sa mère.
J'ai aimé cet incipit :
Au départ, pourtant, entre ma mère et moi le courant passait...
Des séries d'électrochocs, tout au long de sa grossesse, nous y avaient beaucoup aidées. (p. 11)

D'entrée de jeu, le lecteur se doute que la relation mère/fille sera compliquée, marquée par des symptômes à répétition et qui ne connaîtront pas de fin : phase de mélancolie, phase de panique, phase d'abattement, l'humeur est constamment exacerbée et pour les proches il faut faire face à l'imprévisible. Autour de la description de la maladie de sa mère, Martine de Rabaudy évoque justement l'entourage immédiat qui subit de plein fouet les rechutes et désillusions. Il y a le jeune frère qui prend de la distance jusqu'à partir très loin pour éviter cette mère qu'on ne peut canaliser. Il y a aussi le père qui isole sa compagne pour qu'elle vive dans un cocon, à l'abri du monde, afin de ne pas susciter les émotions tant redoutées. Est-ce pour autant la bonne réaction à adopter ?
Enfin, il y a le grand-père maternel, solide appui, qui marque la vie de la narratrice en y ancrant les livres et le goût de l'écriture.
Homme de l'écrit, il habitait chez ses livres. Sa maison en abritait plusieurs dizaines de milliers. Il l'avait achetée pour eux, en découvrant, lors de sa première visite, une pièce si vaste qu'elle pouvait tous les contenir. [...]
Enfant, je ressentais dans ce sanctuaire une appréhension parmi cette masse de volumes reliés dans de fines peaux rouge, bleu marine ou chamois et gravés au bas de chaque tranche à son nom de plume, Pierre Hamp. (p. 28-29)
C'est chez lui qu'elle trouve le repos, le répit et la bienveillance. Elle décrit son séjour chez ce grand-père comme une parenthèse agréable parmi les nombreux tourments qui ne l'ont pas épargnée, malgré le fait que la malade, ce n'était pas elle directement.

Le récit est chronologique et plein de références littéraires très justes sur des personnalités (Louis Althusser, la mère de Duras, la femme de Fitzgerald...), elles aussi touchées par ce mal étrange qu'est la PMD. Cela permet une prise de recul permettant de relativiser ce mal étrange qui touche bien plus de personnes qu'on ne le croit. Mais, quelque part, il est indétectable car il ne se manifeste pas par des réactions physiques (les mouvements d'humeur, certes mais tout ce qui s'agite est en fait intérieur). Quelle situation déstabilisante cela doit être pour les proches qui sont les victimes collatérales de cette maladie sournoise. Ainsi sont évoquées des épisodes douloureux, des phrases assassines, un désintérêt de tout. L'auteur bien que lucide nous fait le portrait de sa famille avec une touchante sensibilité qui ne nous rend pas sa mère misérable ni pitoyable. Elle nous rend en lutte constante avec elle-même (un mot trouvé dans le porte-feuille du père aura tôt fait d'éclairer sur l'ambivalence constante) et forte. Sauf que, les années s'écoulant, la PMD n'est plus le seul mal contre qui se battre.

A peine engagée, patatras, la PMD émergea sans crier gare de son état de Belle au bois dormant avec un appétit de cannibale. Ma pauvre mère n'était plus seulement une femme très malade, mais une femme très malade, doublée d'une d'une femme très âgée, ce qui revenait à cumuler la peste et le choléra, à ajouter la misère à la misère. (p. 115)

Sans être directement liée à cette maladie, le récit ne peut que toucher car il est extrêmement bien raconté. Je l'ai lu comme une fiction à multiples rebondissements avec portrait d'une famille dans la tourmente et le point de vue éclairé d'une narratrice très en phase avec les émotions, précautionneuse tout autant "désespérée" sur la marche à suivre pour obtenir une possible rémission. Plus les séances d'électrochocs s'enchainent, plus il devient difficile d'imaginer une quelconque voie de sortie.

Électrochocs - Martine de Rabaudy (Flammarion, 2012, 181 p.)

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Commentaires
C
Je suis rapide sur ce coup là ! il était dispo à la biblio et ni une ni deux,il est sur ma table de chevet... les Brestoises qu lisent sont dangereuses mais aussi appelées les coyotes bib bip du grand Ouest :) <br /> <br /> <br /> <br /> PS : par mégarde, j'ai supprimé ton commentaire sur mon billet d'aujourd'hui . Désolée. Œuvrer sur le téléphone portable nécessite une dextérité que je n'ai pas
M
@ Alex : Je ne sais pas si "noir" est tout à fait l'adjectif qui convient. Je dirais plutôt que c'est une histoire très vraie et pleine de sincérité.<br /> <br /> <br /> <br /> @ Aifelle : Effectivement, les maladies "invisibles" font figure de comédie pour qui ne les vit pas. Pourtant, quel malheur que cette PMD !<br /> <br /> <br /> <br /> @ Clara : Je l'ai dans ma PAL et compte le lire également. Ce genre d'histoire m'interpelle. Quant à "Électrochocs", indubitablement je te le conseille. Je suis sûre qu'il trouvera un écho en toi. Et, il se lit si bien... !
C
Il me fait penser par le thème à celui de Delphine de Vigan "Rien ne s'oppose à la nuit". Tu me le conseilles ?
A
Je pense que ça ne peut être que noir. Je le lirai peut-être, un jour où je me sentirai bien prête. Où l'on se rend compte que la médecine est dans le brouillard bien plus souvent qu'elle ne veut pas le reconnaître.
A
Ca a l'air noir, comme ambiance, je me trompe ?
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