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Chez Mélopée
29 janvier 2013

[Rentrée littéraire] Les étrangers de Sándor Márai

Aujourd'hui départ pour Paris en compagnie d'un narrateur à la recherche du bonheur. Trouvera-t-il dans notre belle capitale un semblant de satisfaction ? J'ai été captivée par ce texte qui m'a fait littéralement voyager.
 
etrangers
Nous sommes en 1926 et un jeune Hongrois de 26 ans, docteur en philosophie, décide de rejoindre Paris après une année d'études à Berlin. Il y est immigré fugitif car sa famille n'est pas au courant du voyage ni de sa précaire installation, sur un coup de tête, dans une vie de bohème. Il se choisit un petit hôtel plutôt miteux où les murs sont fins - le voisin est d'ailleurs particulièrement actif - et le ménage paraît douteux. Mais pour les intentions du narrateur, c'est tout ce qu'il y a de plus suffisant. Il flâne dans les rues parisiennes, sans but ni projet abouti car c'est en badaud rêveur qu'il flambe son maigre pécule à l'envi. Il voit s'écouler les jours dans une bienheureuse insouciance et c'est peut-être sa conception de la vie. Il est ailleurs et cet ailleurs, Paris, l'intrigue et le surprend chaque jour. Il laisse libre cours à cette vie désinvolte faite de rencontres - quoique ses "amis" soient aussi déracinés que lui-, d'observations et de remises en question.

Le sculpteur s'empara du poignet de la fille et, comme pour réparer une erreur, en secouant la tête il rendit la main à sa propriétaire.
"Oui, il est docteur mais pas médecin", dit-il, satisfait de lui-même. "Vous êtes docteur en quoi déjà?
-Es philosophie !" répondit-il.
Il pencha la tête. Tous riaient à présent parce qu'il arborait la physionomie de quelqu'un qui regrettait de s'être profondément trompé de vocation.
(pp. 123-124)

Je vis à Paris mais il est rare que je m'en rende compte. Cela fait un an que je n'ai pas donné de nouvelles chez moi et ils m'ont sûrement enterré. (p. 249)

La première partie du roman se concentre sur cette vie solitaire faite de déambulations et autres surprises journalières. Quant à la seconde partie, elle fait une large place au voyage vers Morlaix et Saint-Malo où le narrateur n'est pas tout seul puisqu'il se risque à la vie de couple. Paris demeure tout de même un personnage de premier ordre qui hante le jeune homme et le pousse à se dépasser : accepter des petits boulots pour survivre, être opportuniste pour se faire une place et ne pas perdre la face. Tout part de là et tout pourrait y revenir.

Je ne connaissais pas Sándor Márai mais ce roman-ci me l'aura fait découvrir et aimer. Quelle écriture classieuse et élégante ! Il y a quelque chose de délicieusement suranné et qui nous rend cette période fascinante du fait des décennies passées mais aussi de cet homme solitaire qui, tout au long du livre, est plus étranger qu'intégré à l'intelligentsia parisienne. On a de l'empathie pour lui car il doit y avoir deux mondes distincts dans sa tête, deux extrêmes qui le taraudent : la vie en Hongrie avec sa famille aimante et l'effervescence à la française enthousiasmante même si codée.

Il y a quelque part de la gravité dans le propos malgré l'indolence toute relative du narrateur. Cette tranche de vie peut sans doute piocher dans l'expérience de son auteur, car Sándor Márai y a lui-même vécu cinq ans. En a-t-il gardé quelques regrets ou interrogations ? La fascination s'est-elle mêlée à une sorte de résignation désabusée ?
Car l'étranger de Sándor Márai c'est non seulement son personnage sympathique et déboussolé mais c'est aussi, à n'en point douter, un peu de lui-même.

Chapeau bas !

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12/14

Les étrangers - Sándor Márai ; traduction de Catherine Fay (Albin Michel, 2012, 445 p.)

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Commentaires
M
Ce roman semble pouvoir me plaire. Ton billet m'a fait ressortir de la pile sous laquelle je l'avais oublié l Le Premier Amour,, premier roman de cet auteur sous forme de journal. Si seulement j'en avais le temps!
A
J'avais déjà adoré Sandor Marai avec ses Braises et j'avais comme projet (à l'époque) de lire tous ses romans, son style est en effet délicieux. Ton billet me motive bien d'un coup là !
A
Je n'avais pas accroché à la lecture de son dernier roman. Je devrais essayer celui-ci.
M
J'ai découvert Sandor Marai avec "Les braises" et j'en garde un merveilleux souvenir !!
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