Seuls le ciel et la terre de Brian Leung
Je dois bien avouer que j'ai succombé à l'appel de ce livre pour quelques raisons assez arbitraires et superficielles. D'une part la couverture me plaisait, car la nature est une échappatoire formidable pour la fiction. Quant au titre, il est mystérieux et poétique (titre original : Take me home) et me plait bien plus en français.
Passons au sujet qui est celui d'un retour dans le Wyoming d'une femme, Adele Maine, après avoir déserté pendant quarante ans. Nous sommes en 1927 et Dire Draw, petite ville minière a connu de multiples évolutions qui se sont parfois faites dans la douleur. Avant, les hommes ont afflué dans le coin pour prendre du travail à l'Ouest, dans les mines ou dans la construction de lignes de chemin de fer. Adele, dite Addie, rejoint son frère Tommy et se trouve confrontée à un paysage aride et difficile. Elle rencontre des groupes de Chinois, importés pour travailler dans des conditions extrêmes au côté de "blancs" (Tommy en fait partie) dans une lutte de chaque instant pour survivre et gagner son pain.
Addie découvre un contexte économique difficile où les femmes n'ont pas leur place. Plus grave, elle observe le dénigrement de ces Chinois, victimes de racisme par les locaux. Surnommés les "Coolies", ils sont considérés comme des bêtes et ne "doivent" être fréquentés que dans un rapport pécunier : les employer, voilà leur seule condition en ce temps-là.
Addie pourtant s'escrime à établir du lien avec ces Chinois déracinés. Ainsi, elle fait la connaissance de Wing Lee, un homme à son service en qui elle gagne un ami. Tommy préfère lui présenter un gars comme il faut, Muuk, quelqu'un d'intégré dans le cercle avec qui il vaut mieux être vu. Addie se laisse embobiner et se marie avec Muuk. L'amour est assez loin des préoccupations et c'est l'environnement, le contexte économique, qui metlent les nerfs à rude épreuve tandis que les conditions de travail sont déplorables. Bien sûr, la catastrophe n'est jamais loin !
Addie se montre héroïque lors de l’effondrement d'une mine où elle vient secourir des Chinois pris au piège. Elle n'hésite pas à se sacrifier pour sauver son prochain et son sens de la justice pourrait bien la perdre. La question est donc, pourquoi a-t-elle fui ? Que cherche-t-elle a résoudre en revenant dans ce Dire Draw qui la réclame ?
L'intérêt de cette histoire est d'une part romanesque car Brian Leung plante un décor qui m'a parachutée dans un grand Ouest plein de tensions, où le racisme est quotidien. J'ignorais qu'il y avait eu des vagues d'immigrations d'étrangers venus chercher du travail dans les mines ou la construction de chemin de fer (on leur garantissait le rêve américain puis, sur place, ils étaient forcés de rester pour rembourser le transport). Mais la méfiance et le rejet latent ont bel et bien abouti à une émeute en 1885 à Rock Springs.
Il y a donc une part historique à cette fiction et ce personnage d'Addie a été le prétexte à un lien entre Chinois et Blancs. Là où les hommes s'évitaient, une femme a pris les devants pour s'intégrer auprès des uns et des autres. C'est courageux et Addie parait bien être héroïque !
Le style est assez prenant même si le rythme est lent et qu'il m'a été difficile de me situer dans les différents allers-retours dans le temps. J'avais parfois du mal à savoir à quel moment se situait l'action (avouez que c'est embêtant !).
Mais la collection Terres d'Amérique est une fois de plus garante d'un bon cru et il ne faudrait pas s'y tromper, Brian Leung nous plonge dans un bon roman américain, où personnages et action ne demandent qu'à changer l'Histoire.
Seuls le ciel et la terre - Brian Leung ; traduction d'Hélène Fournier (Albin Michel, 2013, 368 p., coll. Terres d'Amérique)