Muette d'Eric Pessan
Sixième roman de la rentrée littéraire et on reste toujours en territoire français. Rassurez-vous quelques belles trouvailles étrangères viendront se glisser derrière ! Mais ce livre-ci est déjà plein de promesses, comme ce à quoi nous avait habitué Véronique Olmi jusque-là.
Nous suivons la petite Muette qui fuit la maison familiale après certains traumatismes qu'il nous sera donné d'explorer au fil de la lecture. Lorsque la fugue s'amorce, elle a déjà amassé des provisions et préparé sa fuite. Craignant des recherches, elle a élu domicile dans une grange voisine. Le confort y est sommaire mais ce qu'elle désire le plus - être tranquille - est réalisé et le retour n'est même pas envisagé. Quitte à ne plus aller en cours et à être isolée, autant vivre à la dure et profiter de ces instants rares où on ne vous demande rien. Sa vie se dessine désormais entre cueillettes sauvages de fruits, échappées en solitaire vers la ville et pensées volubiles vers cette famille qu'elle a fini par exécrer.
C'est un long monologue qui suinte d'une sorte de peur de l'extérieur. Qu'a-t-elle donc à craindre la chère Muette ? Pourquoi son récit est-il entrecoupé d'italiques marquant tour à tour les interventions du père ou de la mère ? Le récit est quelque peu hachuré et imprécis - on ne sait combien de temps dure la fuite - entre réminiscences du passé et flashs d'un présent où les limites sont poussées à leur maximum.
Enfant, Muette pensait que le brouillard masquait un monde imparfaitement assemblé. La nuit, elle croyait que le monde n'existait plus,
arrête de te raconter des histoires.
qu'il se désagrégeait, s'effilochait, et que de grandes machines le reformaient chaque matin juste avant son réveil. (p. 118)
C'est une narration assez détachée car aucun prénom, si ce n'est Muette - mais est-ce son nom véritable ? -, ne vient encombrer la narration. Les gens se comptent sur les doigts d'une main : ses parents, traîtres qui ne l'ont jamais comprise. Il y a aussi la masse indistincte de ces gens qui pourraient la chercher mais aussi ce garçon qui un jour s'aventure jusqu'à la grange ou cet autre qui l'observe d'un peu trop près dans un parc. A croire qu'aucun n'ait suffisamment de consistance pour prendre corps dans la vie de Muette.
Voilà un récit très particulier qui en décontenancera plus d'un d'autant que la quête de liberté parait quelque peu désespérée. Quel âge a cette Muette ? Elle a passé le collège, déserte volontiers le lycée mais quel serait son avenir en jeune sauvage laissée-pour-compte ? C'est bien toutes ces interrogations qui jalonnent la narration et qui pour finir laissent un petit goût de "pas assez". Néanmoins, on suit Muette en essayant de reconstituer le jeu de pistes qui l'aura menée à rompre avec tous ses semblables et les nombreux cailloux semés en cours de route pourraient conduire à une certaine délivrance.
Muette - Eric Pessan (Albin Michel, 2013, 210 p.)
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