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Chez Mélopée
13 septembre 2013

En même temps, toute la terre et tout le ciel de Ruth Ozeki

Quand je vous disais que la rentrée étrangère pouvait être à la hauteur de la rentrée française (pour être tout à fait honnête, je me régale mieux outre-frontières), je pensais bien évidemment à ce type de livres : roman d'une auteur américaine (inconnue pour moi jusqu'alors) qui vous fera voyager entre Canada et Japon dans des allers-retours exaltants. L'auteur figure actuellement sur la short list du Booker Prize, autant dire qu'elle est à suivre. Ici, c'est intensément prenant, je ne vous dis que ça !

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Ruth est une auteur canadienne dont l'inspiration la fuit. Un jour qu'elle se promène, elle trouve sur la plage un paquet contenant cahier, lettres et montre contenus dans un bento. Une chose est sûre, c'est bien du Japon que vient cette étrange boîte. L'ouvrir c'est entrer dans le mystère des confessions d'une adolescente, Nao, dont la vie est peuplée de calvaires et chamboulements. La langue de la collégienne est crue, torturée et pleine de douleurs. On la sent à vif, couler ses mots comme des échappatoires mais aussi témoignage poignant pour ceux qui défaillent mais aussi pour ceux qui sont loin. Dans son sillage il y a son père, homme faible et abattu, qui traine après un licenciement aux États-Unis, obligeant la famille à revenir dans le pays d'origine. L'homme macère regrets et incompréhension. Malheureusement sa femme et sa fille, bien que compréhensives, passent peut-être à côté de sa vraie nature et ne voit qu'un injuste mal-être imposé à la face du monde.
Après lui il y a sa grand-mère, une nonne zen de cent quatre ans qui vit en autarcie, fidèle à ses principes et riche d'enseignements sur ce que doit être un chemin de vie paisible. Enfin, dans l'ombre, c'est le grand-oncle qui plane. Et ce n'est pas qu'une façon de parler puisqu'il fut de son temps pilote kamikaze et valeureux guerrier. Quelle famille !
Et c'est bien vrai car les quatre êtres (Nao comprise) sont étonnamment complexes, philosophes et bienvaillants. Ces Japonais sont prétexte à parler d'une autre culture, d'une civilisation lointaine où la réserve est de rigueur. Mais à travers le cahier bien tenu s'élabore une pensée très libertaire portée sur l'évasion et le rêve. D'ailleurs le titre du roman l'évoque aussi : toute la nature est englobée dans cet hymne à la vie. 
Ruth lit avec frénésie le cahier, inquiète tout autant qu'avide de savoir ce qu'il advient de tous ces êtres au parcours passionnant. Elle et son conjoint rassemblent les moindres détails et se surprennent à éprouver de l'amitié et de l'empathie pour la jeune et tempétueuse Nao. Qu'ils ont raison car quelle force de caractère a cette troublante demoiselle !

Le récit est, d'une part, prenant car l'histoire est bel et bien passionnante. D'autre part, l'écriture ne nous épargne rien et contient des passages tantôt rudes tantôt pleins de poésie. 

"Réfléchis. D'où proviennent les mots ? Ils proviennent des morts. Nous en héritons. Nous les empruntons. Nous les utilisons un temps pour ramener les morts à la vie." Il roula sur le côté et prit appui sur un coude. "Dans l'Antiquité, les Grecs pensaient que lorsque quelqu'un lisait à voix haute, c'étaient en réalité les morts qui empruntaient sa langue pour retrouver la voix". (p. 501)

J'ai été parfois portée par des réflexions mais aussi par le mode de vie décrit au Japon. Car même si ce sont les personnages qui nous accaparent, et en particulier leur être intérieur, le quotidien d'une adolescente tokyoïte est très bien décrit. Les termes laissés en japonais ont rendu cette impression encore plus concrète (grâce aux bonnes traductions). 
Les chapitres alternent entre Ruth et Nao bien que ce soit vraiment Nao le fil conducteur. Elle rend un bel hommage à ses proches en les décrivant dans leur faiblesse mais aussi dans leurs convictions profondes. Ruth détient bel et bien quelque chose de précieux entre les mains et chaque objet contenu (le livre, la montre) a une valeur inestimable. A vous d'en découvrir les secrets.

Voilà le livre entre tous que je conseillerai à la rentrée.  Entre danse du temps et fictions croisées, c'est rudement bien ficelé ! Chapeau !

En même temps toute la terre et tout le ciel - Ruth Ozeki ; traduction de Sarah Tardy (Belfond, 2013, 500 p., coll. Littérature étrangère)

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7/12

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Commentaires
G
Tu sais être tentante, même si j'ai un mauvais souvenir d'une lecture d'un booker prize même pas terminée.
C
Et bien si c'est LE livre que tu conseilles en cette rentrée, je ne peux que le noter ;-)
C
voilà un billet qui me conforte dans mon envie de lire ce roman!
L
Effectivement ça semble bien intéressant. Ton commentaire y est pour quelque chose d'ailleurs.
A
Rien que le titre poétique me tente.
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